- C'EST DE L'EAU -
"Yogash Chitta Vritti Nirodhah" Patanjali Yoga Sutra 1.2
Le Yoga est le contrôle (nirodhah, la régulation, la canalisation, la maîtrise, l'intégration, la coordination, l'immobilisation) des fluctuations (pensées brutes et subtiles) de la conscience.
Ce sutra d'introduction et de définition peut être interprété à différents niveaux. Ici, nous aimerions prendre certaines libertés avec une adhésion stricte au texte original et offrir une lecture contemporaine (et étendue) de ce que nous présente Patanjali. Voyons-le comme une préparation de l'esprit à cet état d'immobilité sereine, en le conditionnant à adopter une perspective plus integrée sur les choses.
Ce qui suit est un texte profond écrit par le penseur et écrivain américain, feu David Foster Wallace pour un discours de remise de diplômes donné en 2005 à l'université de Kenyon, aux USA. Si vous avez 20 minutes de libre aujourd'hui, nous suggérons que vous essayiez de le lire: il évoque une sagesse intemporelle avec du coeur et de la direction. Et si vous n'aimez pas lire, nous avons inclus aussi un petit film (avec une fraction de l'original malheureusement) qui sert d'introduction au texte.
Deux jeunes poissons nagent lorsqu’ils rencontrent un poisson plus âgé qui leur fait signe de la tête et leur dit « Salut les garçons. L’eau est bonne ? » Les deux poissons continuent un instant, puis l’un regarde l’autre et dit, « Tu sais ce que c’est, toi, l’eau ? »
Ceci est une exigence classique du discours de remise de diplômes aux Etats-Unis, la relation de petites histoires didactiques en forme de paraboles. Il s’avère que l’histoire est une des meilleures du genre, une des moins sottes… Mais si vous craignez que je me présente comme le vieux poisson sage qui explique aux jeunes poissons ce que c’est que l’eau, n’ayez crainte. Je ne suis pas le vieux poisson sage. La morale immédiate de cette histoire est simplement que les réalités les plus évidentes, les plus omniprésentes et les plus importantes sont souvent les plus difficiles à voir et à exprimer. Ainsi énoncée, il s’agit d’une platitude banale. Mais le fait demeure que dans les jalons quotidiens de l’existence adulte, les platitudes banales ont des enjeux de vie ou de mort. En tous cas, c’est ce que j’aimerais vous suggérer en cette belle matinée.
Bien sûr, un des prérequis de ce type de discours est que je suis censé vous parler de la signification de votre éducation humaniste, d’essayer de vous expliquer que le diplôme que vous êtes sur le point de recevoir a une réelle valeur humaine, plutôt que d’être une simple récompense matérielle. Alors parlons du cliché le plus répandu de ce genre de discours, à savoir qu’une éducation humaniste n’a pas tant vocation à vous remplir de connaissances, que de vous « apprendre à penser ». Si vous êtes comme moi quand j’étais étudiant, vous n’avez jamais aimé entendre ça, et vous avez tendance à vous sentir insulté à l’idée que vous auriez besoin de quelqu’un pour vous apprendre à penser, puisque votre admission dans une université aussi prestigieuse semble être la preuve que vous savez déjà penser. Mais je vais postuler que ce cliché n’est pas insultant du tout, parce que la vraie éducation que l’on reçoit dans un endroit comme celui-ci n’est pas notre capacité à penser, mais plutôt dans le choix de que l’on décide de penser. Si votre liberté de choix, en ce qui concerne ce à quoi vous pensez, vous semble suffisamment acquise pour ne pas perdre de temps à en parler, je vous demanderai de penser aux poissons et à l’eau, et de mettre entre parenthèses pour quelques minutes seulement la valeur de ce qui semble totalement évident.
Voici une autre petite histoire didactique. Deux gars sont assis ensemble dans un bar au fin fond de l’Alaska. L’un d’eux est religieux, l’autre est athée, et ils débattent de l’existence de Dieu avec cette ferveur spéciale qui accompagne la quatrième bière. L’athée dit : « Ecoute, c’est pas comme si je n’avais pas de raisons de ne pas croire en Dieu. C’est pas comme si je n’avais jamais essayé tout le truc avec Dieu et les prières. Rien que le mois dernier, je me suis retrouvé loin du camp paumé dans un terrible blizzard, je ne voyais rien, il faisait 50 degrés en dessous de zéro, et j’ai essayé. Je suis tombe à genoux dans la neige et j’ai hurlé ‘ Oh Dieu, si tu existes, je suis perdu dans le blizzard et je vais mourir si tu ne m’aides pas ‘ ». Alors le gars religieux regarde l’athée d’un air confus. « Bon tu dois croire alors maintenant », dit-il, « après tout, tu es là, vivant ». L’athée lève les yeux au ciel. « Non mec, c’est juste qu’à ce moment des esquimaux sont passés par là, et ils m’ont indiqué le chemin du campement ».
C’est facile d’évaluer cette histoire avec une grille de lecture humaniste standard : la même expérience signifie deux choses totalement différentes à deux personnes différentes, étant données les matrices de croyances et les manières de dériver du sens à partir de l’expérience qui leur est propre. Parce que nous accordons de la valeur à la tolérance et la diversité des convictions, nous ne trouverons nulle part en sciences humaines une lecture qui favorise une interprétation au détriment de l’autre. C’est louable, sauf qu’on n’évoque jamais d’où ces moules individuels et ces croyances proviennent. C’est-à-dire, ce qui les crée à l’intérieur de ces deux êtres. Comme si l’orientation la plus basique qu’une personne prend envers le monde, et le sens de ses expériences étaient inscrits dans ses gènes, comme sa taille ou sa pointure ; ou automatiquement empruntés à la culture, comme le langage. Comme si donner du sens aux choses ne procédait pas d’un choix personnel et intentionnel. En plus, il y a le problème de l’arrogance. L’athée est absolument certain que le passage des esquimaux n’a rien à voir avec sa prière. Il est vrai aussi que beaucoup de gens religieux semblent arrogants et sont certains de leurs interprétations. Ils sont probablement encore plus répugnants que les athées, du moins pour la plupart d’entre nous. Mais le problème des religieux dogmatiques est exactement le même que celui des athées dans cette histoire : la certitude aveugle qui entraine une fermeture d’esprit équivalente a un emprisonnement si complet que le prisonnier ne sait même pas qu’il est enfermé.
Mon but ici, est que voilà un aspect de ce que veut vraiment dire cette phrase : « M’apprendre à penser ». Etre juste un peu moins arrogant. Avoir une conscience un tout petit peu critique de moi-même et de mes certitudes. Parce qu’un pourcentage élevé des choses dont je suis automatiquement certain s’avère, à l’usage, totalement faux et illusoire. Je l’ai appris à mes dépens, et je suppose que la même chose vous arrivera aussi.
Voici un exemple parmi d’autres de la fausseté complète d’une chose dont je suis automatiquement certain : tout dans mon expérience immédiate soutient ma conviction profonde que je suis le centre absolu de l’Univers ; la personne la plus réelle, la plus vivante et la plus importante qui soit. On pense rarement à ce type de nombrilisme basique et naturel parce que c’est tellement désagréable d’un point de vue social. Mais c’est plus ou moins la même chose pour tout le monde. Ce sont nos paramètres par défaut, notre ‘système d’exploitation’ à la naissance. Pensez-y un instant : il n’y a aucune expérience que vous ayez eue dont vous n’êtes pas le centre absolu. Le Monde tel que vous le vivez est devant VOUS ou derrière VOUS, à gauche ou à droite de VOUS, sur VOTRE télé ou VOTRE moniteur. Et ainsi de suite. Les pensées et les émotions des autres doivent vous être communiquées d’une façon ou d’une autre, mais les vôtres sont si immédiates, urgentes, réelles.
Ne vous inquiétez pas, je ne m’apprête pas à vous faire une conférence sur la compassion, l’altruisme ou les autres ‘vertus’. Il ne s’agit pas de vertu. Il s’agit du choix de faire le travail susceptible de me changer ou de me libérer de mes paramètres naturels par défaut, qui sont d’être profondément et littéralement centré sur moi-même et de voir et interpréter tout au travers de ce prisme. On dit des gens qui parviennent à ajuster leurs paramètres naturels dans ce sens qu’ils sont équilibrés, terme qui n’a rien d’accidentel.
Etant donnée l’atmosphère de triomphe académique qui règne ici, une question évidente concerne combien au juste ce travail d’ajustement requiert de connaissances réelles ou d’intellect. Cette question est très délicate. Il est probable que la tendance la plus dangereuse liée a une éducation de type académique – en tous cas en ce qui me concerne – est qu’elle incite à tout intellectualiser, à se perdre dans des abstractions, plutôt que de simplement observer ce qui se passe devant moi, et à l’intérieur de moi.
Je ne doute pas que vous savez maintenant à quel point il est difficile de rester vif et attentif, plutôt que de se laisser hypnotiser par le monologue constant qui se déroule dans nos têtes (comme maintenant ?). Vingt ans après l’obtention de mon diplôme, j’ai progressivement compris que le cliché d’une éducation humaniste qui enseigne comment penser est un raccourci pour une idée bien plus sérieuse et profonde : apprendre à penser veut vraiment dire ‘exercer un contrôle sur ce à quoi on pense et comment on y pense’. Cela signifie être suffisamment conscient et alerte pour choisir ce à quoi nous portons attention et comment on en dérive du sens. Parce que si nous ne pouvons exercer ce choix dans nos vie d’adultes, nous sommes ‘eus’. Souvenez du vieux cliché qui dit que « l’esprit est un excellent serviteur, mais un terrible maître ».
Ce dicton, si nul et ennuyeux en surface, exprime en réalité une grande et terrible vérité. Est-ce un hasard si les adultes qui mettent fin à leur jour avec une arme à feu se tirent presque toujours une balle dans la tête. Ils éliminent ce maître terrible. Et la réalité est que la plupart d’entre eux étaient déjà morts avant d’appuyer sur la gâchette.
Je suggère que c’est là que réside la vraie valeur de votre éducation humaniste : ne pas traverser votre vie d’adulte confortable et prospère comme un zombie inconscient, esclave de sa tête et de ses paramètres par défauts qui vous rendent totalement, complètement, seul, jour après jour après jour. Ça peut paraitre hyperbolique, un bla-bla abstrait. Le fait est que vous n’avez encore aucune idée de ce que ‘jour après jour après jour’ signifie vraiment. Il se fait qu’il y a de larges pans de la vie adulte américaine auxquels personne ne fait référence dans un discours de remise de diplômes. L’un d’entre eux est l’ennui, la routine et les frustrations mesquines. Les parents et personnes plus âgées sauront ici de quoi je parle.
A titre d’exemple, prenons la journée moyenne d’un adulte. Vous vous levez le matin et vous rendez a votre boulot difficile de cadre en col blanc, fraîchement diplômé, vous travaillez dur pendant 8 à 10 heures, et à la fin de la journée, fatigué et stressé, tout ce dont vous avez envie est de rentrer à la maison, apprécier un bon diner et vous détendre une heure, puis vous coucher tôt parce que, bien sûr, vous devez vous lever le lendemain et recommencer. Et puis vous vous souvenez qu’il n’y a rien à manger à la maison. Vous n’avez pas eu le temps de faire les courses cette semaine à cause de votre boulot difficile, et maintenant après le travail, vous devez vous rendre au supermarché en voiture. C’est la fin de la journée et le trafic est encombré. Aller au supermarché prend plus de temps que prévu, et quand vous arrivez finalement, il est blindé parce que c’est ce moment de la journée ou tous les autres gens qui bossent tentent de prendre un peu de temps pour faire les courses. La grande surface est horriblement éclairée, baigne dans une musique d’ambiance bon marché à vous manger l’âme, et c’est le dernier lieu où vous voudriez vous trouver mais vous ne pouvez malheureusement pas rentrer et sortir en coup de vent ; Vous devez vous trimballer à travers les immenses rayons désordonnés et sur-éclairés pour trouver ce dont vous avez besoin, en manœuvrant votre caddy pourri avec toutes ces autres personnes épuisées, pressées (et cetera, et cetera, on la fait courte parce que cette cérémonie est longue) et lorsque vous avez finalement tout le nécessaire, il s’avère qu’il n’y a pas assez de caisses ouvertes en dépit du fait que ce soit le rush de fin de journée. Du coup, la queue est incroyablement longue, ce qui est stupide et exaspérant. Mais vous ne pouvez pas passer vos nerfs sur la caissière qui se bat frénétiquement avec son tiroir-caisse, et qui se fait exploiter dans un boulot dont l’ennui et l’insignifiance dépassent notre imagination à tous ici dans cette prestigieuse faculté.
Enfin, vous arrivez finalement à la caisse, payez vos emplettes et on vous dit de ‘passez une bonne soirée’ dans une voix qui est la voix de la mort en personne. Ensuite vous devez mettre vos sacs en plastique fragiles dans ce caddy qui vous enrage parce qu’une des roues cinglée a décidé d’aller systématiquement à gauche, traverser l’étendue du parking truffé de bosses, d’ordures et blindé de monde, et rentrer à la maison dans un trafic lent et lourd d’embouteillages plein de 4 x 4 et cetera et cetera et cetera.
Bien sûr, tout le monde ici a déjà eu cette expérience. Mais elle ne fait pas encore partie de votre routine quotidienne, jour après semaine après mois après année.
Mais ce sera le cas. Avec tout un tas d’autres routines par ailleurs, aussi mornes, ennuyeuses, et apparemment insignifiantes. Peu importe, là n’est pas la question. Ce qui importe, c’est que c’est exactement au moment d’être confronté à ce genre de conneries mesquines et exaspérantes que cette question de choix va se jouer. Parce que les embouteillages et les rayons bondés et les queues à n’en plus finir vous donnent plein de temps pour penser, et si vous ne choisissez pas consciemment comment vous pensez et ce à quoi vous faites attention, vous serez en rogne et malheureux à chaque fois qu’il faut que vous alliez faire les courses. Parce que votre certitude, lorsque vous êtes en mode naturel par défaut, c’est que dans des situations comme celles-ci tout, en réalité, tourne autour de vous-même. Il s’agit de VOTRE faim, VOTRE fatigue, VOTRE désir de rentrer à la maison, et tout pointera vers le fait que les autres sont en travers de VOTRE chemin. Et qui sont ces gens ? Et regardez a quel point ils sont repoussants, stupides, avec leur têtes bovines et leurs yeux morts, chiants et malpolis à parler a tue-tête sur leurs portables au milieu de la queue. Et regardez a quel point c’est profondément et personnellement injuste.
Ou, bien sûr, si vous êtes en mode bobo supposément conscient de vos paramètres par défaut, vous pouvez passer votre temps dans les embouteillages dégoûtés par les énormes et stupides 4 X 4, Hummers et autres pick-up 12 cylindres, qui bloquent la voie tout en gaspillant l’essence avec leurs réservoirs égoïstes de 150 litres, remarquer que les autocollant patriotiques ou religieux semblent toujours se trouver sur les véhicules les plus gros, les plus dégoutants, les plus égoïstes, conduits par les individus les plus horribles [en réponse a des applaudissements dans la salle – voilà comment ne pas penser d’ailleurs] – les plus malpolis et les plus agressifs. Et vous pouvez penser au fait que les enfants de nos enfants nous mépriseront pour avoir gaspillé tout ce pétrole, au prix d’un réchauffement planétaire, et à quel point la société de consommation moderne pue, et ainsi de suite.
Vous saisissez.
Si vous choisissez de penser ainsi dans un magasin ou sur l’autoroute, très bien. Nous sommes nombreux à la faire. Sauf que penser comme ça est tellement facile et automatique que ça n’a pas besoin d’être un choix. C’est le mode par défaut. C’est la façon automatique de vivre la partie ennuyeuse, frustrante et pleine de monde de la vie adulte, lorsque vous opérez sous la conviction automatique que vous êtes le centre du monde, et que vos besoins immédiats et émotions devraient orienter les priorités du monde.
Le truc, bien sûr, c’est qu’il y a de multiples façons d’envisager le type de situation évoqué ci-dessus. Dans ces bouchons, parmi tous ces véhicules à l’arrêt et en travers de mon chemin, il n’est pas impossible que certains conducteurs de 4 X 4 aient été victimes d’accidents de la route terrifiants, et que leur psy leur ai ordonné de se procurer un énorme et lourd 4 X 4 afin qu’ils se sentent suffisamment en sûreté pour conduire. Où que le Hummer qui vient de vous faire une queue de poisson soit conduit par un papa dont l’enfant est blessé ou malade, et qu’il essaye de l’emmener à l’hôpital, et qu’il est pressé pour une raison plus légitime et importante que les vôtres : en fait, c’est vous qui êtes en travers de son chemin.
Ou vous pouvez vous efforcer de songer à la possibilité que tout le monde dans le supermarché est aussi ennuyé et irrité que vous, et que la vie de certains d’entre eux est probablement plus lassante et pénible que la vôtre.
Une fois encore, ne voyez pas ceci comme un conseil moral, ou une injonction à penser d’une certaine manière, ou que quiconque s’attend a ce que vous le fassiez automatiquement. Parce que c’est dur. Ça demande courage et volonté et si vous êtes comme moi, il y a des jours ou vous en serez incapables, ou n’en aurez simplement pas envie.
Mais la plupart du temps, si vous êtes suffisamment conscient pour vous octroyer le choix, vous pouvez choisir de regarder différemment cette grosse femme aux yeux morts, sur-maquillée, qui hurle sur son gamin au milieu de la queue. Peut-être qu’elle n’est pas comme ça d’habitude. Peut-être qu’elle n’a pas dormit ces trois dernières nuits parce qu’elle était occupée à tenir la main de son mari qui meurt d’un cancer des os. Peut-être que c’est cette femme qui travaille pour une administration quelconque, qui a aidé votre épouse hier à résoudre un problème administratif frustrant en faisant un petit geste de gentillesse bureaucratique. Bien sûr, rien de tout cela n’est probable, mais ça n’est pas impossible non plus. Ça dépend simplement de ce que vous voulez prendre en considération. Si vous êtes automatiquement certain que vous connaissez la réalité, et que vous fonctionnez en mode par défaut, alors, comme moi, vous ne prendrez pas en considération des possibilités qui ne sont pas énervantes ou déprimantes. Mais si vous apprenez a faire vraiment attention, alors vous saurez qu’il y a d’autres options. Vous aurez le pouvoir de vivre une situation pleine de monde, où il fait chaud, où ça n’avance pas, bref une situation de type enfer-consommateur non seulement comme profonde, mais sacrée, brûlant de la même force que celle qui fit que les étoiles furent : l’amour, la camaraderie, l’unité mystique et profonde de toutes choses.
Non pas que tout ce bla-bla mystique soit forcément vrai. La seule chose qui soit vraie avec un grand V c’est que c’est à vous de décider comment vous allez essayer de percevoir.
Je suggère que la liberté d’une réelle éducation réside en ce choix, le choix de l’équilibre. Vous choisissez consciemment ce qui a du sens et ce qui n’en a pas. Vous décidez de l’objet de votre vénération.
Parce que voici un autre fait étrange mais vrai : dans les tranchées quotidiennes de la vie d’adulte, l’athéisme n’existe pas. Ne rien vénérer n’existe pas. Tout le monde vénère quelque chose. Notre choix est dans ce que l’on vénère. Et une raison persuasive de choisir peut-être un dieu ou un concept spirituel à vénérer – que ce soit JC ou Allah, YHVH ou la Mère Terre, ou les 4 nobles Vérités, ou un ensemble de principes éthiques inviolables – c’est que tout autre objet vous dévorera vivant. Si vous vénérez l’argent et les choses, si là est la Source de sens pour vous, alors vous n’en aurez jamais suffisamment. C’est un fait. Vénérez votre corps, votre beauté et votre jeunesse et vous vous sentirez toujours moche. Et quand le passage du temps commencera a se faire voir, vous mourrez d’un million de morts avant qu’on ne vous pleure. D’une certaine façon, nous savons ces choses. On l’a codifié sous forme de mythes, de proverbes, de clichés, d’épigrammes, de paraboles; le squelette de toutes le grandes histoires. Tout le truc, c’est de garder la vérité au premier plan de sa conscience quotidienne.
Vénérez le pouvoir, vous finirez par vous sentir faible et peureux, et vous aurez besoin de toujours plus de pouvoir sur les autres, pour anesthésier votre propre peur. Vénérez votre intellect, le fait d’être perçu comme intelligent, et vous finirez par vous sentir stupide, comme un imposteur, toujours sur le point d’être découvert. Mais ce qu’il y a de sournois dans ces formes de vénération, ça n’est pas le fait qu’elles soient mauvaises ou que ce soient des pêchés, mais le fait qu’elles soient inconscientes. Ce sont des paramètres par défaut.
C’est le type de vénération dans lequel on se glisse, tout simplement, peu à peu et au fil des jours, tout en devenant de plus en plus sélectif sur ce que l’on voit et comment on mesure la valeur d’une chose, sans jamais être vraiment conscient que c’est ce qu’on est en train de faire.
Et le supposé monde réel ne vous découragera pas de fonctionner avec vos paramètres par défaut, parce que le supposé monde réel pétrit d’hommes et d’argent et de pouvoir ronronne complaisamment au beau milieu d’une ménagerie de peurs et de colères et de frustrations et de soifs insatiables et du culte du moi. Notre propre culture actuelle a su exploiter ces forces de sorte que la richesse, le confort et la liberté personnelle qui en sont le résultat sont extraordinaires. La liberté de chacun d’être le seigneur de son minuscule royaume pas plus large qu’un crâne, seul au centre de toute la création. Ce genre de liberté est facilement recommandable. Mais bien sûr il y a différents types de libertés, et du type le plus précieux, vous n’en entendrez pas énormément parler dans le grand monde extérieur du vouloir et du succès… Le type de liberté qui est vraiment important demande de l’attention et de la conscience et de la discipline, et le fait d’être capable d’aimer les autres et de faire des sacrifices pour eux encore et encore d’une myriade de façons tracassières et pas particulièrement sexy, tous les jours.
C’est ça la vraie liberté. C’est ça être éduqué, et comprendre comment penser. L’alternative, c’est l’inconscience, le paramètre par défaut, la foire d’empoigne, l’impression constante d’avoir possédé, et perdu quelque chose d’infini.
Je sais que tout ça ne sonne probablement ni très drôle ni jovial ni même d’une grandeur inspirante, comme une adresse de cérémonie de remise de diplôme est censée l’être. Ce que c’est, pour autant que je sache, c’est la Verité avec un grand V, moins tout un tas de formules rhétoriques. Libre à vous, bien sûr, d’en penser ce que vous voudrez. Mais je vous prie de ne pas le prendre simplement comme un sermon à l’eau de rose. Rien de tout ceci ne porte vraiment sur la moralité ou la religion ou le dogme ou sur de bien grandes questions au sujet de la vie après la mort.
La Verité avec un grand V concerne la vie AVANT la mort.
Elle concerne la valeur réelle d’une éducation réelle, qui n’a presque rien à voir avec les connaissances, et tout avec la conscience pure et simple; la conscience de ce qui est si réel et essentiel, si caché en pleine vue tout autour de nous, tout le temps, qui fait qu’il faut qu’on se rappelle encore et encore que:
“C’est de l’eau.”
“C’est de l’eau.”
Faire ça, rester conscient et vivant dans le monde adulte jour apres jour apres jour, c’est d’une difficulté inimaginable. Ce qui veut dire qu’il y a un autre cliché grandiose qui se révèle être vrai: votre éducation EST, vraiment, le travail de toute une vie. Et elle commence… Maintenant.
Je vous souhaite bien plus que de la chance.